Je terminais ma petite escapade de 4 jours sur un troncon
non-restaure de la Grande Muraille.
J'etais extenue physiquement, eprouve nerveusement,
deshydrate et ammaigri. Je revais de pauser mon sac
plusieurs heures d'affilees, de repos, d'une bonne douche,
de victuailles et de boissons.
Du haut des tours de guet, j'apercevais un petit village en
contre bas.
Apres avoir quitte la Muraille, je marche quelques kilometres
et vers 10h du mat' me retrouve a l'entree du village, gris,
face a un homme qui n'a pas l'air commode.
Il s'approche de moi et me demande par gestes si j'ai faim,
soif, envie d'une douche et d'un lit. Perspicasse le gars..
avec ma demarche thrillerienne de Mickael Jackson, mon gros sac
sur le dos, des valises sous les yeux et une odeur a repousser
n'importe quel etre urbain.
Je le suis. A peine une centaine de metres et on penetre dans
sa demeure. Un batiment carre, avec les murs ouverts vers
l'interieur donnant sur une cour en beton. On ne peut pas
dire que ce soit charmant mais ca respire la vie.
La femme du gars m'accueille dans un anglais approximatif.
Je suis dans une petite pension familiale fraichement ouverte.
On discute un court instant le prix, ca ne dure pas, c'est
tellement ce que je voulais et si peu cher.
Elle me demande si j'ai faim?
"-Biensur!
-Qu'est-ce que je veux manger?
-Peu importe, tout fait ventre.
-Ok, help yourself, je te prepare ca.
-Cool".
A peine le temps de prendre une bonne douche, de me recurer,
de laver enfin mes chaussettes qui commencaient a etre
rigides, que la table est mise avec 5 ou 6 plats sur la
table (ca va des restes de la veille, aux oeufs, poulet,
poisson, legumes..)
Elle me demande de m'installer et de commencer a manger.
A voir le nombre d'assiettes empilees, je presume qu'ils
vont manger avec moi. Donc j'attends. Mais apparemment, ca
deplait a mes hotes. Alors, je commence a me delecter de tous
ces bons petits plats.
Un a un, les membres de la famille arrive. D'abord un tres
vieux monsieur qui se trouvait tout pres mais immobile et
cache dans la penombre. Puis un autre, a l'air plus vaillant,
2 jeunes filles (dont une tres jeunes) et enfin le mari avec
toujours sont air severe.
Tout en mangeant, on essaie de discuter. Seule la femme
bredouille l'anglais avec l'aide d'un petit lexique aux
expressions toutes faites, offert par le ministere du
tourisme. Comme ils sont curieux les questions fusent.
Le mari en tete, avec sa grosse voix, limite agressive et
toujours ce regard qui te perfore.
Il s'est mis dans la tete de m'apprendre le chinois pour
qu'on puisse parler..et j'ai plutot interet a etre efficace..
Les traditionnelles presentations peuvent donc se faire avec
mon chinois balbutiant.
Le probleme en Asie est que le son [b] leur ai difficilement
prononcable. Donc, ca ne manque pas, personne n'arrive a
prononcer mon prenom.
Le mari decide de me donner un nom chinois, puisque je n'en
pas encore. Ce sera Tong Hua Minh.
Normalement, le nom chinois doit ressembler a la
prononciation du nom. Ici pas du tout.
Par contre, c'est un bel exemple de l'humour chinois car
sa signification est "celui qui comprend le chinois"!!!
Et vu le temps qu'on mis a se comprendre...
Peu a peu, durant le repas, a force de croiser les regards
et d'essayer de parler, les visages se delissent, les sourires
apparaisent (notamment sur le visage du mari et celui du
2e vieux, les jeunes ont encore peur, l'autre vieux est
trop vieux pour comprendre (92 ans!) et la femme est toujours
aussi agreable).
Apres le repas chacun retourne a ses occupations, le mari va
au champ, le vieux senile attend, l'autre fume des cigarettes
dans l'entree en regardant la rue, les gamines jouent ou
travaillent leurs devoirs (c'est les vacances) et la femme
s'occupe du gite.
Je vaque aux miennes...sieste de quelques heures.
Le repas du midi se deroule sur le meme schema..avec
recitation des mots appris le matin! mais les doutes apaises
et les regards remplis de chaleur sont la, les coeurs sont
ouverts, sans comprendre nos mots, on se parle avec les yeux,
les sourires, les gestes attentionnes. On rit de mettre un
temps infini a se comprendre, on cherche dans le lexique
quel mot est le meilleur pour exprimer ce qu'on a dire.
A la fin repas, je donne un peu cours d'anglais a la femme.
Puis retourne me coucher.
La soiree approche. Un groupe de touristes chinois venus de
Pekin arrive avec grand fracas. Reveille, je sors de la
chambre pour lire et ecrire un peu. A la vue des cartes
postales, ils viennent par petit groupe les regarder, dire
ou se trouve tel ou tel monument, parler un peu avec moi.
Le temps passe, il est deja l'heure de diner, je m'installe a
la table de la famille, les gamines me sourient enfin, s'en
suit un peu jeu avec les baguettes. La plus petite me parle
naturellement en chinois, je lui reponds en francais et son
regard, a chaque fois interloque, provoque les rires de tout
le monde. Avec le vieux, les echanges de regards sont forts
en emotion, doux, chaleureux et profonds.
Apres le diner, il y a un tournoi de majong dans le groupe.
Avec le mari, on s'installe et regarde ce qu'il se passe en
siroptant des bieres et s'offrant des cigarettes.
Je me couche avant tout le monde, epuise.
Le matin, la femme m'explique le trajet pour rentrer sur
Pekin et le vieux attend le bus pour l'arreter pour que je
puisse monter.
Le bus arrive, tout se passe tres vite, ils me poussent dedans.
J'ai pas le temps de leur dire merci, aurevoir et a quel
point c'etait sympa.
Sur le trajet, leurs regards me troublent encore, leurs
sourires me rechauffent toujours. Je suis un peu perdu.
Vraiment triste de pas avoir eu le temps de savourer ces
derniers instants...
Pour eux, je m'appelle Tong Hua Minh..