Le berger du Sichuan

Je venais d'enchainer 4 jours de haute montagne dans le parc de Yading, a cheval entre le Yunnan et le Sichuan (Chine). J'etais seul avec tout mon barda, une boussole gadget et 2 malheureuses cartes chopees sur le net, ecrites a la main, sans echelle et ne mentionnant pas les meme noms de bleds...bref j'avais reussi a ne pas me perde et a faire le tour du mont Cherensig avec des cols a +5000m. Mon objectif etait de rejoindre Zhongdian, principale ville du nord Yunnan ou j'avais passe quelques jours (soit une jolie boucle de 1oo a 150 km voire un peu plus), marcher le plus possible mais ne pas hesiter a prendre tous transports a pattes ou a roue pour m'aider a avancer, et essayais de le faire seul.

Donc ces 4 premiers jours etaient grandioses, paysages splendides, acclimatation a l'altitude, averses de pluie cinglant les mollets, sac a dos bien lourd, froid qui perfore toutes les couches de vetements, nuits dans des abris de pierres entre merde de yaks, qu'il fallait d'abord deloger et petites bestioles en tous genres. Mais subir tout ca vallait la peine, car les couchers ou les levers de soleil etaient feeriques. J'ai "perdu" une journee car le temps etait vraiment pourri, pluie et brouillard, j'ai eu beau essayer d'avancer mais n'ayant aucun repere j'ai prefere rebrousser chemin vers mon abris et tuer le temps a essayer de faire un feu pour me rechauffer ...que je nai jamais reussi a faire..j'ai tente toutes les astuces que je connaissais..rien a faire..ici ca ne marchait pas.

Ainsi le 5eme jour, je redescendais de mon purgatoire pour retrouver le plancher des hommes (vers 2000m alt), longer une vallee vers le sud sur un chemin de terre utilise par les quelques habitants du coin..ca a dure 2 jours, les gens croises etaient adorables et semblaient surpris de voir un gars de la ville marcher tout ca avec un gros sac..ils me saluaient, m'encourageaient..putain que ca faisait plaisir car cette partie etait monotone et pas agreable. Je profitais de tout ce qui me doublait pour faire un bout de chemin sans le sac ou dans la remorque d'un micro tracteur, ou d'un camoin sorti de nulle part et finissant sa route au milieu de rien.
J'ai meme eu l'honneur de monter dans un 4x4 flambant neuf qui s'est casse au bout de 500m, d'attendre avec les proprietaires dudit 4x4 de longues heures avant de se faire tous embarquer par le jeep de la police locale..utilisee seulement pour porter assistance aux personnes, avec un policier tout sourire, musique a fond,  a grand coups de sirene pour les virages.
J'atteinds enfin Dongyi.

Je savais que la, mon chemin aller etre plus difficile, plusieurs options de routes s'offraient a moi et tout le monde voulait saisir l'opportunite d'etre mon guide.
Des mon arrivee, je commencais a glaner quelques infos, essayais de les verifier, et pris la decision de continuer seul en coupant a travers le massif.
Le matin suivant, leve aux aurores, et hop c'est parti. Je marche a peine 2 h pour me rendre bien compte que je ne sais absolument ou je vais ni quelle direction prendre, il y a des croisements partout, chemins, sentiers et chaque demi tour use le physique et le moral..et pour etre sincere je commencais a me demander quelle mouche m'avait piquer de faire ce truc..je ne revais plus que d'une douche bien chaude de 3h , d'un enorme bol de dumpling et du gateau au chocolat servi dans un salon de the de Zhongdian.
Demi tour vers Dongyi, a la recherche d'un guide.

Surprise, plus personne n'est motivee ou les prix sont absolument absurdes. Je vais voir les vieux, toujours de bon conseil et ils connaissent tout le monde.
La, assis  sur la chaise devant l'ordinateur ca parait simple..mais la-bas personne ne parle l'anglais, tres tres peu le chinois  mais le tibetain et encore moins de gens savent lire. Le tout est de me montrer et de faire diffuser l'information. J'attends, je prends des photos, je vois les villageois faire semblant de s'occuper et m'observer du coin de l'oeil, palabrer entre eux, seance de tricotage au milieu du chemin boueux, jeux entre enfants avec des morceaux de velos ou des cartons. C'est bon, ca marche.
 On m'accompagne dans mon attente. C'est malheureusement leur activite principale, rien a faire dans ces montagnes, dans ce village, alors on profite d'un etranger pour faire ce rien ensemble. Un p'tit vieux, tout petit, tout vieux, avec sa gueule burinee de montagnard, sa bouche edentee et son regard rude arrive vers moi. Je mets un temps fou a lui faire comprendre ma route avec l'aide de tous les villageois et on se met d'accord sur le prix, franchement honnete. Il me fait comprendre d'attendre ici, il revient. Cool, je me rapproche de ma douche chaude!! je vois une issue pour sortir de ce village tristounet..car j'ai cette chance de n'etre que de passage.
Vers le debut d'apres-midi, un type de mon age s'approche vers moi et me fait signe de le suivre. Je retrouve mon pepe un peu plus loin. En fait, ce type, un berger, Le berger, est son fils, il retourne dans ses alpages  avec un cheval et deux et c'est sur ma route. Je reexplique clairement notre "contrat" pour etre sur. Cool, on ne perd plus de temps, je mets mon sac sur un ane, il me propose de monter le cheval, je refuse, tant que je peux marcher je marcherais et c'est parti. Le pere reste a Dongyi.

Et on enchaine cols, prairies, forets, pluie, nuages, brouillard, paysages majestueux, glauques, ambiances froides, sombres, tristes, belles au premier rayon de soleil. Maintenant, je sais ou Tim Burton tire son inspiration pour ses films!!
Ca monte, ca grimpe. Encore. Et toujours. Le berger fume clope sur clope, mais il est toujours la, ne parle pas, souffle regulier, pas assures. Au bout de quelques heures, je ralentis la troupe donc je monte le cheval et quand le cheval ralentit la troupe..Ben... je descends du cheval..
On marche environ 4 heures toujours vers le haut, ces sommets qu'on a l'impression qu'apres il n'y en a plus..mais non, c'est la blague..derriere il y en a encore et toujours..assez pour ceux qui en veulent!! et on arrive sur une jolie prairie verte , avec une suprebe vue sur le massif du Cherensig et au milieu un tas de bois assez haut et organise qui s'avere etre un abris de berger. En l'occurence le sien.
On libere les animaux et rentre les affaires dans l'abris. Il prend un morceau de bois, craque une allumette et en moins de 2 un enorme feu nous rechauffe. Je suis completement bleuffe par ce feu, moi qui quelques jours plus tot avait passe une apres-midi et une boite entiere d'allumettes pour finalement abandonner et me resigner a avoir froid..Bonne nouvelle, j'ai encore un tas de choses a apprendre!

On s'installe chacun d'un cote du feu central et sort nos victuailles pour manger enfin. Je sors du the en sachet, du miel et des noodles. Il sort du the en feuille, du sel, du beurre de yak, des morceaux de gras de porc crus qui fondent dans la bouche, du fromage dur comme du caillou et galette de cereales. On se partage le tout, a coup de sourires et de regards de satisfaction d'une bonne journee de marche terminee. Repus, on se laisse bercer par le crepitement du feu. J'essaie d'entamer un brin de causette, style : "et c'est quoi ton petit nom?". Mais impossible, incomprehension totale, je passe quelques minutes a lui dire que je m'appelle Bastien et toi?..non, rien a faire. Je ne veux pas le mettre dans une position delicate alors j'abandonne..Je ne connaitrai jamais ton nom.

On n'echangera plus aucun mot, juste des regards, des sourires et des cigarettes. Le silence du feu avec les soupirs du bois humide, les crissements et les hurlements du bois sec, les clarines des anes et nos souffles seront nos seuls accompagnements. Agreementes de temps a autre par la douce pluie fine sur le toit et de quelques goulettes qui osent s'aventurer a l'interieur pour venir s'eparpiller avec fracas sur nos couches. Ambiance de reflexion (studieuse?) et atmosphere de respect entre individu dans un abris de bois perche a +4200 ou +4300m d'altitude.
La nuit est fraiche, on se reveille pour alimenter le feu et fumer des clopes.

Le matin, le brouillard est bien accroche, on n'y voit pas grand chose. Le p'tit dej' sera les meme aliments de la veille. On recharge les betes et c'est reparti. Pour changer un peu, on continue a monter, puis on longe des flancs de vallee, contourne les sommets les plus hauts, franchi les plus accessibles, croise des troupeaux de yaks et quelques rares bergers. Les eclairies sont timides. On atteind rapidement le domaine du mineral (estimation a +5000m alt) et la, plus grand chose. Quelques cris d'aigles et autres rapaces et le sifflement du vent dans nos oreilles.Toujours la vue bouchee mais nos sens eprouvent le vide qui nous entoure.
C'est le moment de s'en mettre plein les poumons. Puis on redescend un peu pour traverser une foret de lichens, remonte, passage a guet de fins ruisseaux qui deviennent torrents quelques centaines de metres plus bas. L'automne approche avec ses teintes sur les feuilles des arbres. Magnifique. Je savoure la chance que j'ai de traverser ce genre d'espaces encore relativement peu transformes par les  hommes.
Vers le milieu d'apres-midi, on atteind sa maison et ses alpages. Son visage s'est detendu. Home sweet Home. Toujours fait en bois, son chez lui est rudimentaire et fonctionnel. On rentre par un appenti, une porte et sa piece unique avec au milieu un foyer pour le feu, au fond des planches font office d'etageres et de chaque cote encore des planches pour y mettre tout son barda. Au dessus du foyer, la viande et le bois sechent.
Memes rituels que la veille.
Quelques heures plus tard, des cris se rapprochent. Deux hommes arrivent, ils connaissent bien le berger. Ils resteront ici cette nuit. On devra se tasser un peu plus! On essaie de communiquer mais encore peine perdue. Par contre, ils ne se genent pas pour parler de moi, je le vois a leurs regards durs, mefiants, scruteurs, comme tout bon montagnards, pas habitues aux etrangers. A ce demander qu'est-ce qui peut bien m'amener ici.

Ils se racontent leurs journees, j'imagine qu'ils s'enquierent des derniers potins de Dongyi. Ils m'oublient. Donc  peu a peu, je deviens completement transparent a leurs yeux et leur attitude reprend un cours normal. Je ne les derange plus. Ces moments sont absolument fabuleux, en complet decalage avec la perception de ma culture, de mon histoire, de ma langue et de mes codes de communications. Je suis plonge dans un univers inimaginable, d'odeurs fortes d'hommes et de nourritures, du bruits d'altidude, du vent et de la pluie, du souffle du feu, des courants d'air, de l'enivrement de ces mots incomprehensibles a mon oreille mais d'une saveur exquise, sourde. Le debit de parole est leger, souple, fluide, lent. Ils s'ecoutent, reflechissent, prennent le temps de peser chaque mot, chaque variation d'accent. Entre coupe de quelques rires, francs, profonds. Pas fort, ce n'est pas utile. Aucun son agressif ni polluant. La fatigue des hommes, l'envie de raconter et de se raconter, le temps qui s'estompe avant une bonne nuit de sommeil. Une totale osmose avec tout ce qu'il y a autour, d'une chaleur humaine remarquablement froide de l'exterieur mais d'une intensite inegalable. Ces genres de ressentis sont indescritibles.
J'essaie plus ou moins de rester actif avec mes hotes mais je suis vide dans cet univers, superflu, en trop. Il se suffit a lui-meme. Je suis aspire par cette ambiance calme et apaisante. Je n'ai qu'une envie, me laisser bercer et m'enfoncer lentement dans ce leger tourbillon qui caresse tous mes sens. La nuit est belle. La vie est douce.

Le lendemain, c'est une autre histoire. Et je la voyais arriver, ca ne pouvait pas etre autrement.
Naturellement, le berger etant arrive chez lui,  n'a plus envie de repartir plus loin. Il m'indique la direction, me dit que j'y suis dans 2 heures et me tend la main pour recuperer son argent. Ben oui, y'a toujours une histoire d'argent et c'est toujours un probleme.
Naturellement, tant que je ne suis pas arrive au point voulu, je ne sors pas mon argent.
Il ne veut pas bouger. Daccord mais si je continue seul il ne sera paye..Va-t-en explique a un berger tibetain, en haute altitude, au milieu de rien, ce qu'est une rupture de contrat.
Donc on s'embrouille. Ses 2 potes jouent les arbites, les mediateurs. Et oui, mon bonhomme je te paie mais a l'arrivee. En plus, je fais mon bon prince car il m'avait "dit" qu'on arriverait a Niru en 2 jours et la il faut un 3eme jour que je suis pret a payer.
On s'embrouille vraiment severe, menaces et regards qui donnent peu confiance dans la suite des evenements, il est presque tres enerve! Alors comedie ou pas comedie?
Il est temps de faire redescendre la pression, de se calmer, de s'expliquer, de se comprendre et de se mettre d'accord. Palabres. Ses camarades lui font comprendre que l'honneur de sa parole est en jeu. Ca se devine aux intonnations des mots, aux gestes et aux regards portes a mon attention.
Bon, l'affaire est conclue, je remercies les 2 messieurs, les salue. Le berger prend sont cheval, met mon sac dessus et me regarde avec un petit  air pas tres sympatique. Gloups.
On marche, deja qu'il ne causait pas beaucoup mais la...
On redescent, longe une riviere. Les paysages sont toujours aussi majestueux. L'embrouille m'a un peu perturbe au debut et puis tant pis. Que ca ne me gache pas le paysage!
On longe cette riviere pendant de longues heures, et plus on marche plus je me dis que j'ai vraiment bien fait de faire mon cirque pour qu'il m'accompagne.
On arrive a un endroit ou la riviere se fait moins profonde, c'est le moment de la traversee. On aura de l'eau jusqu'aux cuisses.
En face, un groupe de chinois avec un guide et des chevaux, ils font le chemin inverse. Je parle anglais avec eux. Ca fait du bien de parler!
On s'echange des infos. Faut pas trop trainer car nos guides respectifs subodorent qu'on fomente quelque chose contre eux. Je reprends la route, et effectivement, le berger mine de rien vient a mon niveau et essaie de savoir ce qu'on s'est dit..C'est le moment ideal pour faire un brin d'humour, causer un peu, sourires et se taper l'epaule.."Hein, mon salaud, tu pensais bien m'avoir..ben non!! Ca ne se passe pas comme ca, plus maitenant!" et lui de se dire: "putain avec les autres, ca marchait toujours, on les embrouille un peu, ils lachent l'argent et se font recuperer par un autre guide un peu plus loin.."
Oui, car meme si rien n'est organise, structure, les quelques touristes qui passent dans la region sont forcement des sources de revenu potentiel, donc je suis certain que derriere les airs un peu debonnaires de nos bergers qui galerent dans leurs alpages, trotte dans leur tete l'idee de rentabiliser un maximum ces passages. Et ils auraient bien tort de faire differemment.


Enfin l'atmosphere se detend et son visage devient presque radieux, presque!
Autour de nous, des prairies de fond de vallee glaicaire, bien vertes.
On continue, remonte sur cette pelouse, les pics aceres des hautes montagnes ont fait place aux collines et vallons. Autre atmosphere, toujours d'une qualite impressionnante, l'empreinte des hommes est plus visible, ces prairies sont le resultat de la deforestation. 1 heure plus tard, on atteind Niru. Ce Niru est 3 cahutes avec une famille qui y vit et loue des anes a la journee, des sentiers sont fleches, c'est une reserve prise sur un parcours "touristique". Je demande a la famille si on est vraiment a Niru. Ils me repondent non, non Niru, le village est a 4 heures de marche! Je retourne voir mon berger qui croyait encore pouvoir se debarasser de moi..Ben non!
On reprend la route, peu de temps apres, deux hommes de la famille nous rattrapent avec leurs anes et leurs chevaux. Ils vont au village. On fera la route ensemble. Le berger semble un peu soulage. Je ne suis pas certain qu'il connaissait bien le chemin, et avec cette compagnie ils peuvent causer, j'aurais tellement aime comprendre, comment ces gens de vallee differente font connaissance, quels mots ils utilisent, a quelles valeurs ils font reference...Je reste tranquille derriere a apprecier du mieux que je peux le paysage et tout et tout mais pffff ca commence a etre dur. On marche, monte, descend, longe des precipices, des torrents, traverse des champs de boue, des forets, des rocailles, et enfin on peut faire quelques pauses, car a 2 les pauses etaient vraiment rares! Mon corps tente de me lacher..Je le retiens du mieux que je peux!

Arrivee sur Niru, village tibetain aux maisons tibetaines situe au croisement de 2 vallees. Le berger et moi ne savont pas ou dormir, il ne connait personne. Les gars qui nous accompagnent lui disent d'aller voir une grande maison a l'entree du village. On y est. La maison est entouree d'une cour, protegee par de hauts murs. On y accede par une jolie porte cochere stylisee. La cour est une cour de ferme, tous les animaux sont la, poules, anes, chevaux, porcs..La maison est  haute, avec un etage, coloree et ornementee. Le rez-de-chausse est reserve aux betes et aux outils. Un grand escalier en bois nous amene a l'etage sur le pas de la porte. Un jeune nous ouvre, surpris, il nous laisse rentrer. Le berger est timide et trouble, il me fait comprendre de bien faire comme lui. Situation au combien interessante, je ne suis plus le seul etranger mais lui a l'avantage de connaitre le langage et les us et coutumes. On entre dans la piece principale, tres sombre, au milieu un foyer avec le feu, des boiseries partout, des meubles, dans un coin un vieux lit, le courant, une tele...et un lecteur DVD. Oui, un lecteur DVD, dans une maison tibetaine au fin fond d'une vallee entre le Sichuan et le Yunnan.
Le berger sort ses trucs pour nous preparer a manger, l'hote me sert un verre d'eau et pas a mon collegue. Deux enfants debarquent, nous examinent un temps et retournent jouer. J'observe attentivement ce aui se passe autour de moi, comment deux inconnus font connaissance.
Mais la tele est allumee, et, comme partout sur cette planete, elle capte vite, trop vite l'attention, on se tait et on regarde les pubs et les programmes.

Plus tard, une femme arrive. La maitresse de maison, jeune, belle mais pas contente de nous trouver la.
Le berger me regarde, il ne sait pas trop comment reagir. On se fait petit pendant qu'il lui fait un brin de causette. Elle prepare a manger, elle est efficace et autoritaire, remet en place les gamins et lance un DVD karaoke de chansons traditionnelles remixees. Les gamins fredonnent gentillement. C'est bon mais c'est bien trop fort, les chants aigues et stridents me perforent les oreilles..Ou est parti ce calme et cette quietude qui m'ont accompagne ces derniers jours? Bienvenue dans le monde moderne, apanage du bruit et de creation de besoins inutiles.
Le repas est super bon, epice, releve mais chaud et ca change des noddles ou du gras de porc seul, toujours ce fromage de lait de yak tre fort, de la peau de porc (je crois que je prefere le gras..il fond dans la bouche!), bref enfin des legumes, de la couleur et des vitamines.
Quelques temps apres le repas, un vieux monsieur fait son entree, il est tout sourire de voir des tetes nouvelles, il nous ausculte moi et mes affaires, lampes, chaussures, sac, tapis de sol..heureux de decouvrir de nouvelles choses venues d'ailleurs. On cause un peu. Il me dit que demain il prend le meme chemin que moi, vers Zhongdian, si je veux je peux louer un ane! Perd pas le nord le p'tit vieux! Il nous offre sa gnaule locale et on trinque. La soiree s'embellie.
On dort tous les 3 dans la meme piece, les enfants et la femme dans la piece d'a cote et le jeune homme a disparu.

Le lendemain, on se reveille ensemble, dejeune un peu et on fait nos affaires chacun dans notre coin. Il est temps pour le berger, Monsieur X, de reprendre le chemin inverse et moi et mon nouveau compagnon de filer vers Zhongdian.
Je paie discretement Monsieur X, lui serre la main et lui dit merci. Il est heureux, enfin libebere de son "touriste" et me fait un sourire que je pense sincere. On vient de passer 3 jours ensemble non-stop, de faire quelques bonnes dizaines de km et de monter une tripotee de cols. On se separe.
Et c'est reparti pour environs 8 heures de marche, plusieurs cols et ce coup-ci avec mes 2 sacs sur le dos et le ventre..C'est une autre affaire.
A peine sortis de la maison, qu'on rencontre un pote a lui et sa tres jeune fille. Et nous voici 4 plus 2 chevaux. Ils me redemandent si je ne veux pas louer un cheval. Fierement je reponds non, j'ai commence avec mon sac, je finis avec mon sac.
Eh ben, les premieres heures, j'ai vraiment regrette ma fierte. J'avais mal absolument partout, trainais les pattes, clopi-clopant. Ils m'ont vite distance mais je les voyais se retourner de temps a autres, m'encourager, me lancer des sourires qui regonflent le moral a bloc. Ils m'ont attendu une fois et je leur ai dis de continuer, on finira bien par se retrouver. Mais a chaque croisement difficile, comme par hasard, ils faisaient une halte. Toutes ces petites attentions anodines, remplies de respect, de simplicite avec leurs bonnes bouilles, super agreables, ils ne peuvent pas imaginer a quel point de les regarder me donnait du courage. Ils etaient heureux de faire ce chemin ensemble, rigolaient, se taquinaient et essayaient un peu de me faire oublier les poids du monde, enfin des sac, que j'avais sur les epaules.
Les paysages etaient encore magnifiques, ils changeaient tout le temps. Mais la encore, je me suis vite mis en pilote automatique, je marchais comme une machine. Me forcais a regarder ce qui m'entourait et decoller un peu les yeux de mes chaussures, la vue troublee par la sueur.
 Maintenant, ils m'ont bien distance, je m'arrete quasi toutes les 10min. J'ai tout simplement envie d'arreter, stop. Mais oui mais pour quoi faire, y a pas d'autre choix que d'avancer. Alors comme on dit en kreol :"tit pas tit pas n'avance"
Et je les retrouve en train de casser la croute, tranquille, ils ont trouve un autre vieux et une autre  petite fille en route (je comprendrais plus tard que tout le monde se dirigeait vers Zhongdian car c'etait la fete nationale chinoise et donc le jour a ne pas rater pour faire des affaires et revoir de la famille ou des amis). J'ai faim mais pratiquement rien a manger. Ils me partagent un peu de leur nourriture. Je leur propose les quelques barres de cereales ou fruits secs qu'il me reste et mon eau. Que de bonte. Que de respect. Que de sagesse. Ah, si la terre pouvait etre peuplee que de gens comme ca. J'ai souffert de tout mon corps, de tous mes muscles. Rien n'egale ces rencontres et ces pas que l'on fait l'Un vers l'Autre. La magie de la vie. L'essence de l'humanite.

On reprend, encore quelques collines, steppes, prairies, forets et nous voila arrives a un lac, Lugu Lake, une simili reserve naturelle peuplee de touristes qui arrivent par bus. Le temps de contourner le lac, quelques 2 heures, sous une pluie battante, mes compagnons ont trace la route et je me retrouve seul entoure de gens bien habilles, abrites sous de grands parapluies. Je suis ourde de boue, mon odeur ferait fuire un blaireau, ma cape de pluie est en lambeaux, ca agreemente encore un peu plus l'image que je donne..Ben oui, je viens de passer 8 jours dans la montagne et je ressemble a un zombie, j'ai perdu des kilos que je n'avais pas, mon visage est crispe de douleurs, mes yeux sont livides et mon esprit est radieux, rempli de tous ces moments magnifiques, ces visages burines, ces paysages grandioses, je suis un extra-terrestre et ca m'est completement egale.
Je vais direct sur le parking des bus pour denicher une place pour rentrer en ville sur une route asphaltee. Il faut negocier sec. Pas de probleme. Je reussi a trouver une place. Un homme me tape le dos, je me retourne et je retrouve mon petit vieux. Il me demande si j'ai une place pour lui. Je renegocies avec les gars du mini-van. Mais ils n'ont plus de place. Ok, je laisse ma place a mon compagnon. Je trouverais bien ailleurs. Mais, je comprends que le probleme n'est pas tant la place que la tete de mon compagnon. Il est petit, pas de dents dans sa bouche, sale, il pue l'alcool (le salopard est alle se rincer la tronche a coup d'alcool frelate). Je prends conscience du fosse qui separe les gens de la ville et ceux de la campagne/montagne, entre les "civilises" et les pauvres paysans. Sauf que ces "civilises" se croient civilises au point d'exclure des hommes de leur monde. De quelle civilisation parlons-nous, et si c'etait a choisir je prends le monde ou le respect, la simplicite, et l'humilite sont des valeurs et non des reliquats de bonne conscience. "La civilisation c'est la sterilisation" dit Huxley... Bref, je commence a m'enerver contre les gars du van, qu'est-ce j'ai de plus que mon compagnon et surtout qu'est-ce qu'il a de moins que moi ou que toi (mise a part ses dents!). Ils ne veulent rien savoir, ca tombe bien moi non plus, un attroupement se fait autour de nous. Ca cause, ca s'explique, ca mime, ca dessine. Et enfin, mon compagnon peut monter dans le bus. Je le remercies pour tout ce qu'il m'a offert, et attends de voir le bus partir pour etre sur qu'il soit dedans. Le pauvre n'a pas compris grand chose au debat houleux auquel il venait d'assister. Car la barriere entre les mondes est naturelle aussi pour lui. On le lui a repete tellement souvent.
Je ne fais pas 5m qu'un couple de jeunes me propose de me ramener en ville.
Sur le chemin, ils m'apprennent la date, l'heure, je me reconnecte peu a peu a cette civilisation moderne ou les jours se divisent en 24 heures et ne sont plus simplement limites par un lever et un coucher de soleil. J'etais parti pour 4 jours, j'en ai fait 8.

Ma douche sera bonne, longue et chaude. Le gateau au chocolat succulent.


25/01/2006
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